Les Pères conciliaires, lors de la deuxième session du Concile Vatican II (1962-1965), ont donné à l'Église le mandat de s'engager avec toute la famille humaine, à laquelle elle est reliée, dans une conversation et un dialogue sur ses divers problèmes. Ils pensaient que ce geste porterait « un témoignage de la foi de l'Église et [serait] un témoignage éloquent et une preuve de sa solidarité et de son respect pour le genre humain » [1]. Depuis lors, plusieurs initiatives des Dicastères de la Curie romaine ont cherché à mettre en œuvre le mandat du Conseil. MENSURAM BONAM (MB), le travail qui est présenté ici, s'inscrit dans cette tradition d'initiatives ecclésiales cherchant à dialoguer avec la famille humaine sur ses diverses expériences et sur ses défis. Avec sa publication, Mensuram Bonam espère apporter la lumière de l'Evangile et de la doctrine sociale catholique (DSE) sur le domaine spécifique de l'économie et du monde de la finance que l'on peut appeler la gestion des actifs financiers ou l'investissement.
En tant qu'agents d'institutions et en tant qu'individus, les personnes peuvent se voir confier des actifs à investir plutôt que simplement les dépenser. Depuis que la finance a pris un rôle plus important à tous les niveaux de l'activité humaine, la nécessité pour l'Église de réfléchir aux exigences du disciple chrétien, y compris la vocation des personnes à l'intendance dans ce domaine, est devenue plus crucial. Il est important que leur gestion des biens créés, y compris toutes les formes d'activité financière, en particulier la gestion d'actifs, soit orientée de façon à refléter ce don de Dieu à la famille humaine, en servant le bien commun, en respectant la justice et les normes éthiques.[2]
Comment l'Église équipe ses fidèles pour un tel exercice : la question nous rappelle l'observation du pape Benoît XVI sur l'Église et la politique. Faisant écho à l'enseignement du concile Vatican II, le pape Benoît XVI observe que « l'Église n'a pas de solutions techniques à proposer » [3], et ne s'immisce donc en aucune manière dans la politique des États. Cependant, l'Église « a une mission de vérité à accomplir, en tout temps et en toute circonstance, pour une société à la mesure de l'homme, de sa dignité, de sa vocation. […] La fidélité à l'homme exige la fidélité à la vérité, qui seule est la garantie de la liberté (cf. Jn 8, 32) et de la possibilité d'un développement humain intégral » [4]. Mensuram Bonam adopte la même attitude à l’égard du monde de la finance. Ainsi, la lumière de l'Evangile et de la Doctrine Sociale Catholique que MB entend apporter sur « la gestion des biens financiers » appartient à la mission de vérité de l'Eglise, qui n'est pas seulement vérité de la foi, mais aussi vérité de la raison. La doctrine sociale de l'Église est une application particulière de cette rencontre entre la lumière de la foi et la lumière de la raison. [5]
Cet appel contenu dans MB ne pouvait pas mieux tomber. Comme l'observe souvent le pape François, la crise actuelle due à la pandémie de Covid-19 a mis au jour d'autres pandémies, celles de systèmes sociaux dysfonctionnels tels que la précarité de l'emploi, le faible accès aux soins de santé, l'insécurité alimentaire et la corruption. Mais le pape François voit aussi cette crise comme une opportunité pour regarder l'avenir que nous pouvons imaginer ensemble et de découvrir des valeurs et des priorités dans l'enseignement de notre foi et sa sagesse afin de construire un tel avenir et d’inspirer notre investissement selon des critères cohérents avec la foi.
Enracinée dans les enseignements de la foi et dans la doctrine sociale de l'Église, MB s'adresse en les soutenant à tous ceux qui travaillent au quotidien dans les secteurs financiers (institutions mais aussi individus) et cherchent les moyens de vivre leur foi et de contribuer à la promotion d'un bien-être inclusif et intégral ou à la progression des personnes. MB cherche à offrir une telle opportunité de discernement, en fournissant des orientations et des principes pour leur permettre de répondre à l'appel de l'Évangile et à la sagesse de la Tradition de l'Église en intégrant plus pleinement l'enseignement social et moral de l'Église dans la gestion de leurs actifs financiers, tout en mettant l’accent sur l'investissement dans des titres cotés ou des instruments de gestion collective.
L'objectif de cette publication est double :
i) Là où existent des lignes directrices et des critères d'investissement, les entités devraient être encouragées à persévérer dans l'intégration systématique de la doctrine sociale de l’Eglise dans leur politique d'investissement, et à l’ajuster si nécessaire de temps à autre.
ii) là où de telles lignes directrices n'ont pas encore été élaborées, MB fournit un stimulant et un modèle/exemple pour aider et encourager les institutions à établir des politiques d'investissement claires en intégrant la doctrine sociale de l’Eglise dans leur processus d'investissement.
En nous appuyant sur le bon travail accompli par de nombreux membres de l'Église ainsi que par nos sœurs et frères d'autres traditions religieuses et des hommes et femmes de bonne volonté, nous espérons que cette Perspective Catholique sur l'Investissement cohérent avec la foi sera une source d'inspiration et d’orientation pour les institutions catholiques, les croyants, et ceux qui sont disposés à l’écouter où qu’ils soient. Car, puisées dans les trésors de l'enseignement de l'Église, les propositions de ce document cherchent à aider toute personne de notre temps, qu'elle croie en Dieu, ou qu'elle ne le reconnaisse pas explicitement. S'ils sont adoptés, ils favoriseront au sein de la famille humaine une compréhension plus aiguë de son destin plénier, et l'amèneront ainsi à façonner un monde plus conforme à la dignité suprême de l'homme, à rechercher une fraternité universelle plus profondément enracinée, et à répondre aux urgences de notre époque avec un effort généreux et solidaire né de l'amour (cf. GS n.91) [6].
Mensuram Bonam se propose également dans les années à venir de poursuivre son engagement ceux qui sont dans le secteur de l'investissement, de réfléchir aux principes qui découlent de leur foi, de leurs système de valeurs et de leur mission dans la vie.
Nous voudrions maintenant saisir cette occasion pour remercier chaleureusement tous ceux qui ont contribué à la préparation de cet appel à l'action, en tant que membres d’un groupe de travail[7] dévoué et engagé dans la mission de vérité de l'Église, et ECHo[8] Fund qui a facilité la discussion de Mensuram Bonam dans l’Academie des Sciences Sociales du Saint Siège.
Cardinal Peter Kodwo Turkson
(Chancelier : Académie pontificale des sciences et des sciences sociales)
Au Vatican, le 10.11.2022
[1] Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, 7 décembre 1965, 3, https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_cons_19651207_gaudium-et-spes_fr.html
[2] La finance est un secteur important de l'économie qui englobe plusieurs activités, dont l'investissement. Cependant, en tant qu'activité, la finance doit être activement au service de l'économie réelle et ne pas être utilisée uniquement comme un moyen de spéculation improductive.
[3] Caritas in veritate, 9
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Gaudium et spes, 91.
[7] Elena Beccalli, Paolo Camoletto, John Dalla Costa, Jean-Baptiste Douville de Franssu, Rev Father Séamus Finn, Robert G. Kennedy, Mark Krcmaric, Pierre de Lauzun, Rev Father Thomas McClain, Rev Father Nicola Riccardi, Antoine de Salins, Anna Maria Tarantola, Alessandra Viscovi, Helge Wulsdorf, Stefano Zamagni.
[8] ECHo Fund est un groupe de consultants basé au 55 Silwood Road Bramely Johannesburg, avec des représentants dans Afrique de l'Est (Kenya), l’Afrique de l'Ouest (Ghana) et l’Afrique centrale (RD Congo) afin d’aider les Églises locales à financer la mission de l'Église.