How Justice can Combat the Legacy of Colonialism

Judge Mina Sougrati | Morocco

How Justice can Combat the Legacy of Colonialism

I. Première Partie

Le néocolonialisme, héritier de la colonisation, est un phénomène complexe qui utilise le droit comme outil privilégié. C’est ainsi que se développe une forme de colonialisme plus subtile, basée sur les traités et les conventions – le néocolonialisme juridique. Léopold Sedar Senghor a très lucidement analysé cette situation en affirmant que « sous le régime colonial, on pouvait protester, on avait le peuple avec soi. Aujourd’hui, on est colonisé et on ment au peuple en disant qu’on est libre ». Cette réflexion n’est pas sans rappeler les propos de Napoléon Bonaparte, pour qui son code civil vivrait éternellement. En effet, tous les pays qui ont accédé à l’indépendance ont hérité du droit colonial, un héritage qui se manifeste encore aujourd’hui.

Le néocolonialisme, sous toutes ses formes – économique, culturelle, militaire, etc. – connaît un essor sans précédent, notamment avec la mondialisation et l’émergence de nouvelles puissances économiques ou militaires qui n’ont pas de passé colonial en Afrique. Les anciennes puissances coloniales ont alors recours au droit pour imposer leur volonté à leurs anciennes colonies, devenues des pré-carrés. Les élites dirigeantes en Afrique, choisies et imposées par les néocolonialistes, sont souvent qualifiées de « Peau noire, masques blancs », car elles se nourrissent de mimétismes pour être acceptées et guidées par les « Messieurs Afrique ».

Tout cela conduit à un néocolonialisme juridique, qui se traduit par une dépendance réelle des États africains envers les puissances classiques ou émergentes, à travers des organismes internationaux ou des mécanismes juridiques formellement négociés – accords bilatéraux ou multilatéraux. En réalité, ces mécanismes sont imposés dans le but de favoriser une politique en faveur des anciennes puissances coloniales ou des puissances émergentes, au détriment des intérêts des peuples africains.

Je voudrais saisir cette occasion pour rappeler les effets du néocolonialisme juridique en Afrique, bien que ce soit difficile de dresser une image complète de cette approche. Les anciennes puissances coloniales et les puissances émergentes en font usage, ce qui rend la tâche ardue. Néanmoins, nous pouvons nous concentrer sur les mécanismes juridiques les plus connus et largement critiqués pour leur utilisation comme outil de néocolonialisme.

Tout d’abord, il convient de souligner que le Conseil de sécurité de l’ONU est l’un des six organes principaux des Nations unies et a pour mission de prévenir les conflits internationaux et de résoudre les conflits existants, y compris par l’utilisation de la force militaire. Cependant, son manque de représentativité est critiqué, car si les dix membres non permanents votent tous pour une décision, un vote négatif d’un membre permanent suffit à bloquer la décision. Il est donc souvent considéré que la création d’une opération de maintien de la paix découle des arrangements diplomatiques, en fonction des intérêts directs ou indirects des pays impliqués.

Ensuite, la Cour pénale internationale a été créée suite à la ratification du Statut de Rome, un traité international signé en 1998, entré en vigueur en 2002 et compétent pour quatre types de crimes : le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre commis après le 1er juillet 2002 et le crime d’agression à compter du 17 juillet 2018. Cependant, la compétence de la CPI n’est pas rétroactive, ce qui signifie qu’elle ne peut traiter que les crimes commis à partir de cette date. Depuis sa création, la CPI a ouvert 17 enquêtes et détenu 7 personnes, toutes africaines, ce qui a suscité des accusations de néocolonialisme judiciaire de la part de la CPI contre les Africains et leurs dirigeants. Cette situation a conduit l’Union africaine à encourager ses États membres à cesser leur collaboration avec la CPI. Cependant, il convient de noter que la CPI agit sur la base d’informations fournies par des États, des organisations internationales et des ONG. Enfin, il est important de souligner que la CPI est fondée sur le principe de complémentarité et ne peut intervenir que si les États ne sont pas disposés ou incapables de poursuivre les auteurs présumés de crimes graves. Ainsi, les enquêtes et les poursuites de la CPI visent à compléter les efforts des juridictions nationales et non de les remplacer.

Parmi les institutions internationales, nous allons nous intéresser principalement au Fonds monétaire international (FMI), qui est souvent critiqué pour être considéré comme un instrument néocolonialiste au service des puissances économiques, afin d’asservir les États africains. En effet, le « principe de conditionnalité du FMI » qui consiste à imposer des réformes politiques et institutionnelles aux États africains en échange de prêts, est considéré comme une ingérence dans la politique interne de ces États. Certains vont jusqu’à parler de « cartel de spoliateurs monétaires », car le FMI exige souvent des réductions de dépenses publiques, des privatisations d’entreprises publiques, la libéralisation des échanges commerciaux et la dévaluation de la monnaie des pays emprunteurs. Ainsi, le FMI favorise les intérêts des pays développés au détriment des pays en développement, en particulier les États africains. Les représentants des pays développés au sein du FMI ont une influence considérable pour imposer leurs visions et priorités économiques et politiques aux pays en développement. Les États africains sont donc vulnérables et moins influents dans les organisations internationales, et se voient souvent imposer des standards internationaux inadaptés à leur réalité, qui peuvent être néfastes pour les élites dirigeantes et les populations.

De plus, le néocolonialisme juridique a un impact direct sur les systèmes juridiques africains en empêchant le pluralisme juridique, et un impact indirect sur les élites dirigeantes et les populations.

En Afrique francophone, le concept d’État de droit est souvent défini par l’Élysée selon des normes occidentales qui ne sont pas adaptées aux réalités africaines. Cette approche a conduit à une imitation aveugle des codes juridiques français, y compris le code du travail, sans tenir compte des particularités locales. Ce phénomène est également observé dans les anciennes colonies britanniques et a donné lieu à une élite hybride dotée d’une identité mixte. Cette situation découle en grande partie de l’héritage du droit colonial et des effets du néocolonialisme institutionnel, tels que la conditionnalité imposée par le FMI et les réformes préconisées par la Banque mondiale, qui sont basées sur le modèle occidental et souvent inadaptées aux réalités des États africains. Ces réformes ont des répercussions directes sur les élites dirigeantes et les populations africaines.

II. Deuxième partie

En tant que membre de la famille de la justice, on peut se demander quel est le rôle de la justice et comment elle peut lutter contre le néocolonialisme.

1. Combattre le mimétisme des lois et du système judiciaire

a. Lutter contre le mimétisme des lois

Depuis le début de la domination coloniale, les structures juridiques ont subi une rupture absolue, soit par leur destruction, soit par leur détournement au profit de l’envahisseur européen, en l’occurrence français. La revendication d’indépendance juridique est particulièrement véhémente dans plusieurs domaines touchant à l’exercice de la souveraineté récemment acquise, comme le droit constitutionnel, ou encore les branches du droit touchant à l’intimité des individus et à leurs croyances religieuses, comme le droit de la famille ou du droit foncier.

De nombreuses voix critiquent la faible efficacité des législations anciennes, ainsi que des nouvelles lois, qui ressemblent trop à leurs homologues français ou européens. Les textes actuellement en vigueur sont inadaptés, trop éloignés des attentes de la société, et trop marqués par l’influence occidentale. Il est important de noter que la rédaction de la loi est soumise à plusieurs critères liés au temps et au lieu, et chaque temps et lieu a une spécificité qui ne peut être ignorée ou violée.

Il est donc nécessaire de retrouver des règles correspondant aux caractéristiques nationales, en adaptant les textes pour qu’ils soient proches des attentes de la société, tout en étant loin de toute influence étrangère.

b. Lutter contre le mimétisme judiciaire

Dans les pays africains qui étaient des anciennes colonies de l’Empire britannique, comme le Ghana, la Gambie, le Zimbabwe, l’Ouganda, le Kenya, pour juger ou plaider devant la haute cour, les magistrats et les avocats doivent respecter un code vestimentaire très précis : ils doivent porter une perruque blonde et pas n’importe quel type de cheveux, ce sont les longs crins de cheval blanc à l’ancienne, portée par les juges de la haute cour (et le roi George III). Cette tradition héritée de l’ère coloniale a commencé à être critiquée, non seulement à cause de son prix exorbitant pour les systèmes judiciaires africains (de 350 à 5500 euros), mais aussi en raison de son incompatibilité avec le climat caniculaire des pays africains, aussi la texture de la perruque, jaune, grise ou blanche, n’a aucun rapport avec les cheveux africains.

2. En revanche il faut garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire :

En fait dans de nombreux pays africains, la présidence du Conseil supérieur de la magistrature est assurée par le ministre de la justice, ce qui peut avoir une influence négative sur l’indépendance des juges. Pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, il est essentiel que le ministre de la justice ne fasse pas partie du Conseil supérieur de la magistrature, étant donné que sa fonction de représentant du pouvoir exécutif va à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs.

L’indépendance judiciaire est un principe fondamental de la démocratie, qui implique que les magistrats et les juridictions soient à l’abri de toute ingérence, qu’elle soit interne ou externe. Pourtant, dans certains cas, l’indépendance judiciaire est menacée par des forces extérieures, y compris celles provenant du néocolonialisme. Par exemple, au Maroc, la Constitution de 2011 a consacré un titre particulier à l’indépendance du pouvoir judiciaire, en se basant sur deux principes clés : l’indépendance individuelle des magistrats et l’indépendance institutionnelle de la magistrature. Cette indépendance protège le pouvoir judiciaire contre toute forme d’ingérence, y compris celles provenant du néocolonialisme. Cependant, malgré le succès de cette expérience judiciaire marocaine, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant les atteintes à la liberté de la presse au Maroc, Bien que les journalistes détenus aient bénéficié d’un procès du droit à un procès juste et équitable et de tous leurs droits incluant la présomption d’innocence, ce qui peut être interprété comme une ingérence dans la souveraineté judiciaire marocaine.

En résumé, le néocolonialisme juridique prend diverses formes en Afrique et a un impact négatif sur le système juridique du continent. Les organisations internationales d’investissement conditionnent leurs prêts à des réformes institutionnelles, ce qui peut être considéré comme une forme de néocolonialisme par l’endettement. Tout cela contribue à un système juridique façonné par les élites dirigeantes au détriment des populations africaines, toute chose qui ne laisse le Pape François INDIFFÉRENT. 

En fin il est important de prendre en compte ces enjeux pour encourager les nouveaux États-nations à se libérer des lois d’origine étrangère et à garantir l’indépendance de leur pouvoir judiciaire.