Esclavage moderne et changement climatique

Anne Hidalgo | Mayor of Paris

Esclavage moderne et changement climatique

Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui et je remercie le Saint Siège pour cette invitation à une conférence consacrée à deux des grands défis auxquels nous sommes confrontés : l’esclavage moderne et le changement climatique.

En effet, la dégradation de l’environnement et la dégradation sociale relèvent d’une même logique de libéralisation et de marchandisation des objets, des ressources naturelles, des personnes humaines, soumises aux seules lois du marché ou de l’intérêt immédiat et non plus à une quelconque norme naturelle ou spirituelle supérieure.

La crise qui frappe notre monde est donc globale, à la fois économique, sociale, écologique et morale. C’est une crise de civilisation. L’hyper-capitalisme financier, fondé sur la recherche insatiable du profit de court terme, n’est pas viable, pas davantage que le productivisme forcené, la foi aveugle dans la technique et l’exploitation sans limites des individus et de l’environnement.

L’Église s’est aujourd’hui pleinement emparée de ces questions et tend à remplir, avec une force extraordinaire, sa mission de « conscience de la mondialisation ». Responsables religieux et responsables politiques doivent entretenir un dialogue fructueux afin d’œuvrer à une mondialisation plus maîtrisée et plus juste, et de renouer le lien entre l’homme et la nature, dont il est partie intégrante, en réduisant l’emprise de l’idéologie relativiste, individualiste et consumériste qui règne aujourd’hui.

Dans ce contexte, la traite des êtres humains, sous ses multiples formes, touche les plus fragiles, dans les pays du Nord comme dans ceux du Sud, même si elle prend des formes différentes selon les pays, les contextes économiques et les pratiques culturelles.

Je salue l’extraordinaire travail mené aujourd’hui par l’Église, sous l’impulsion du Saint Père, pour comprendre et endiguer la traite des êtres humains, qui constitue à la fois une urgence humanitaire et une exigence morale impérieuse quant à la dignité de chaque personne humaine. Sous la coordination de Mgr Sánchez Sorondo, que je remercie, religieux, experts, personnalités civiles se sont réunies afin de traiter en profondeur de tous les aspects de cette question. Je salue les propositions de l’Académie auxquelles la Ville de Paris apporte son plein soutien : la création d’une Agence mondiale anti-traite, la reconnaissance du trafic des êtres humains comme crime contre l’humanité et l’inscription de son éradication dans les Objectifs pour le Développement Durable.

Les grandes villes ont un rôle majeur à jouer dans ce combat. Si elles concentrent richesses et dynamisme, elles abritent aussi nombre de situations intolérables de traite et d’esclavagisme, qu’elles contribuent souvent, par leur densité, à dissimuler.

La ville de Paris s’est engagée dès 2001 dans la lutte contre la prostitution forcée qui relève pourtant essentiellement de la compétence de l’Etat. Notre action vise principalement à soutenir les associations qui accompagnent les personnes prostituées sur le territoire parisien, souvent étrangères et victimes de réseaux organisés, à former et mobiliser les intervenants sociaux et les professionnels, à informer et répondre aux attentes des riverains.

Nous avons d’ailleurs souhaité formaliser notre engagement en inscrivant pour la première fois la prostitution et la lutte contre le proxénétisme dans le Contrat parisien de sécurité signé en 2009 avec l’ensemble des acteurs parisiens. Dans ce cadre, la collectivité parisienne oriente son action sur l’aide à la sortie de la prostitution et la réinsertion des personnes prostituées. Nous multiplions les partenariats avec des associations de terrain : avec par exemple l’association catholique « Aux captifs, la libération », en particulier dans l’aide aux prostituées chinoises, ou avec l’Amicale du Nid et l’hôpital Sainte Anne pour favoriser l’accès aux soins en santé psychique des personnes prostituées.

Concernant les victimes de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, notre Ville soutient le dispositif national d’hébergement sécurisé « Ac.Sé » qui met à l’abri environ 80 personnes par an depuis 2003, pour moitié parisiennes, ainsi qu’un foyer dédié à Paris.

Enfin, nous sommes actuellement en train de finaliser un projet en partenariat avec le parquet de Paris et le gouvernement pour mettre à l’abri les victimes d’exploitation sexuelle qui coopèrent avec l’autorité judicaire, dans un appartement mis à disposition par notre ville. 

Ce sont très souvent les populations les plus pauvres qui sont les premières victimes, et dans une proportion croissante, des phénomènes liés au réchauffement climatique, devenant ainsi de plus en plus vulnérables aux trafics que nous venons d’évoquer. Crise écologique et crise sociale se nourrissent l’une l’autre. C’est pourquoi l’Église a fait de l’environnement une préoccupation centrale. Je salue à cet égard l’encyclique « Laudato si », dont la puissance extraordinaire et inédite résonne déjà dans le monde entier et va peser avec force dans le débat mondial sur cette question.

Opérer la « conversion écologique » est parmi les défis que nous devons relever celui qui exige le plus grand devoir d’invention, la plus grande audace. Il s’agit de changer nos modes de vie et de pensée, nos manières de consommer, de produire, de se déplacer. Face à cet enjeu majeur, l’incantation n’est pas de rigueur : c’est l’action concrète qui doit prévaloir.

Les « villes-mondes » ont un rôle particulier à jouer. Le défi climatique notamment est avant tout un « défi local » : aujourd’hui, 70% des gaz à effet de serre proviennent des zones urbaines qui rassembleront d’ici 2050 les 2/3 de la population mondiale. Si les Villes concentrent les défis, elles produisent également les meilleures solutions pour les relever.

Paris est engagée pleinement dans cette conversion écologique, comme le montrent de nombreuses réussites concrètes, qu’il s’agisse des rénovations thermiques des logements sociaux, du développement des mobilités douces ou encore du recyclage croissant de nos déchets. Mais il faut encore aller plus loin, plus vite.

La lutte contre la pollution de l’air est l’une de nos priorités. Dans le cadre du Plan de lutte contre la pollution de l’air, nous avons commencé à réduire la circulation des véhicules les plus polluants à Paris et dans sa région, et cette dynamique va se renforcer progressivement. En parallèle, nous continuons de développer les transports collectifs et électriques, d’accroître la place de la nature dans la ville, de favoriser les énergies renouvelables et de récupération. 

Paris emprunte enfin le chemin de l’économie circulaire, cette économie du moindre impact qui permet de produire sans détruire, de consommer sans consumer et recycler sans rejeter.

Avec l’accueil de la COP 21 en décembre 2015 à Paris, notre ville dispose d’une opportunité sans équivalent. Nous inviterons à cette occasion, le 4 décembre, les Maires du monde entier à venir démontrer leur engagement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Vous êtes tous les bienvenus. Ensemble, nous pourrons mettre toute notre énergie pour parvenir à un accord politique, universel, équitable, ambitieux et effectif au terme de cette conférence.

C’est d’une collaboration renouvelée dont nous avons besoin, entre les États, les collectivités locales, les acteurs économiques et les citoyens qui sont souvent des précurseurs, faisant émerger des pratiques et des valeurs qui s’éloignent du modèle consumériste pour aller vers un mode de vie plus responsable et plus porteur de sens.

Cette révolution écologique doit être portée à l’échelle municipale, nationale, européenne – nous travaillons avec plusieurs maires d’autres capitales à des initiatives communes – et mondiale. Les pays riches et pollueurs, qui ont le plus profité des combustibles fossiles et sont en grande partie responsables la destruction de la planète doivent aider les pays pauvres dans la transition énergétique. 

La crise écologique a enfin partie liée avec l’immigration, puisqu’elle est responsable de certains mouvements migratoires, et touche avec une acuité particulière les migrants.

Les maires des grandes villes européennes sont en première ligne pour accueillir les personnes migrantes bien qu’ils n’aient aucun pouvoir direct dans la détermination des politiques nationales d’immigration. Les vagues successives d’immigrants illégaux qui traversent la Méditerranée au prix de tragédies humaines nous rappellent notre responsabilité à leur égard, eux qui n’ont eu d’autre choix que de fuir leur pays. Il s’agit donc d’un problème européen qui doit être résolu par une politique étrangère commune. Ainsi, j’ai demandé avec d’autres maires que les villes puissent jouer un rôle dans les travaux préparatoires à l’Agenda européen sur les Migrations.

Nos villes sont bâties sur la diversité et le dialogue des cultures. Des gens de toutes origines et religions vivent et travaillent dans nos villes cosmopolites. Pour être fidèles à leur vocation, les villes doivent concilier la sécurité des citoyens, la régulation des flux migratoires d’un côté, le devoir d’accueil, de solidarité et de soutien aux droits de l’Homme de l’autre.

La France fait face, comme le reste de l’Europe, à une arrivée massive de migrants depuis 2014. Au nom de nos valeurs les plus essentielles, au nom de la dignité de chacun, c’est notre responsabilité de trouver des solutions, au-delà des discours et des incantations, pour que ces hommes et ces femmes puissent être dignement accueillis sur notre sol. Nous avons récemment permis l’hébergement de 461 personnes dans le cadre de l’évacuation d’un camp.

Nous travaillons main dans la main avec des associations extraordinaires (Emmaüs, FTDA, la Cimade, le Samu social) avec qui nous développons de nouvelles idées : délivrer l’information de façon décentralisée par les accueils de jour ou centres d’hébergement, mettre en place des maraudes afin de permettre l’accès quotidien aux hébergements dégagés par l’Etat. C’est en informant au mieux les migrants de leur situation que nous pouvons traiter dignement leur situation.

En tant que maire de Paris, je porterai ma voix afin que les différents dispositifs fonctionnent de manière coordonnée et fluide, pour éviter tout engorgement des centres d’hébergement. La loi sur l’asile, en cours d’adoption, le prévoit, et je serai particulièrement vigilante pour qu’elle soit correctement délivrée.

La mondialisation libérale a produit de grands désastres. Il ne suffira pas de redresser la situation : nous devons avoir l’ambition d’un autre modèle et d’autres valeurs à promouvoir, le courage d’imposer des limites au système actuel et de retrouver le sens des grandes finalités. Cette révolution sera le fruit un dialogue renouvelé entre religion, science, politique et société civile. Nous avons ensemble un chemin à tracer, qui concilie le progrès social de tous les pays, en particulier les plus pauvres, la dignité retrouvée de chacun, et la préservation de notre « maison commune ». C’est à ce prix que nous bâtirons un nouveau monde sur les décombres de l’ancien, un monde plus écologique, plus juste et plus solidaire.

Et ce monde nous ne le bâtirons pas en partant d’utopies normatives, qu’elles soient construites par des experts ou des idéologues. Pour reprendre les mots d’Ivan Illich, grand défenseur catholique de l’homme et de son environnement, nous le bâtirons en permettant à chaque collectivité de choisir continuellement son utopie réalisable.

C’est la destination que Paris, avec ses villes sœurs, se propose de suivre.